Publié le 05 mai 2019

Les meilleurs moments des 7es Rencontres du G5 Santé en vidéo

Regarder les vidéos enregistrées lors des 7es Rencontres par les principaux acteurs de la journée sur la chaine Youtube du G5 Santé.

Le G5 Santé mobilisé

Le G5 Santé, porte-voix des industries de santé françaises, est un cercle de réflexion, présidé par Yves L’Epine, Directeur Général de Guerbet, qui rassemble les dirigeants des principales entreprises françaises de santé et des sciences du vivant.

Réunis à Paris à l’occasion des 7es Rencontres du G5 santé  le 23 octobre 2018 pour échanger avec les pouvoirs publics, David Meek Directeur Général d’Ipsen, Jean-Frédéric Chibret, Président des Laboratoires Théa, Olivier Laureau, Président de Servier, Alexandre Mérieux Président-Directeur Général de bioMérieux, Yves L’Epine, Directeur Général de Guerbet  Président du G5 Santé, Guillaume Leroy Président Sanofi France, Denis Delval Président-Directeur Général du LFB et Éric Ducournau Directeur Général du groupe Pierre Fabre.

Yves L’Epine, Directeur Général de Guerbet

Bonjour à toutes et à tous, je suis très heureux de vous accueillir à ces 7es Rencontres du G5 Santé.

Comme vous le savez, le G5 Santé est un think tank (cercle de réflexion) qui réunit les huit dirigeants mondiaux des entreprises bioMérieux, Guerbet, Ipsen, LFB, Pierre Fabre, Sanofi, Servier et Théa. Ces entreprises de santé se consacrent aux médicaments, mais aussi aux tests de diagnostic, comme bioMérieux et aux dispositifs médicaux comme Guerbet. La santé du futur faisant appel à des solutions multi-technologiques, toutes ces entreprises font de la recherche et de l’innovation non seulement sur leur métier cœur, mais aussi sur les domaines connexes, afin de proposer des solutions qui associent un médicament, un diagnostic ou un dispositif et des solutions digitales ou d’intelligence artificielle.

Le G5 Santé a conservé, malgré son élargissement à 8 membres, son appellation d’origine parce qu’il porte 5 ambitions pour la France, que nous avons décrites lors des précédentes Rencontres. Il faut savoir que nos entreprises réalisent ensemble 4,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en France, soit un peu moins de 10 % de leur chiffre d’affaires mondial (47 milliards d’euros), alors qu’elles y localisent 30 % de leurs emplois (46 000 sur 150 000) et 50 % de leur effort de recherche et développement en France. Leurs dirigeants mondiaux montrent ainsi clairement qu’ils contribuent par leurs décisions à créer de la valeur dans ce pays.Nos sites de recherche et de production sont répartis sur tout le territoire hexagonal, mais ils sont aussi largement présents en Europe et dans le monde. Les entreprises du G5 Santé sont pour le gouvernement et pour leurs interlocuteurs des pouvoirs publics, des témoins attentifs, bien placés pour connaître les efforts que produisent les différentes nations pour attirer sur leur territoire des décisions d’investissement.

« Nous souhaitons mettre un terme au recul de ce secteur stratégique »

Une vraie bataille s’est engagée sur les industries de santé, parce que c’est un secteur créateur de valeur pour le futur. Si l’innovation n’est pas toujours bonne pour l’humanité, nous savons qu’à chaque fois que nous faisons des progrès, nous faisons reculer les frontières de la maladie et nous guérissons plus de malades. C’est pour cela que nous sommes fiers de l’activité que nous portons et que nous voulons dialoguer de façon rapprochée avec les autorités françaises et continuer à privilégier le choix de la France.

Notre secteur industriel est stratégique pour la nation. Il constitue une magnifique opportunité pour tous. Nous sommes à la veille d’innovations disruptives, que ce soit dans le monde des sciences du vivant, car les victoires de la biologie permettent par exemple des traitements de régénération tissulaire ou cellulaire individualisés, ou grâce à l’intelligence artificielle qui facilite des diagnostics beaucoup plus précis et précoces. Les solutions multi-technologiques permettent d’envisager un futur nettement meilleur pour la communauté des patients, et nous souhaitons que ce soit aussi le cas pour la France.

Nous sommes un acteur clé de la transformation des systèmes de santé, parce que derrière chaque solution multi-technologique il y a une simplification du parcours de soin. Par exemple, un geste de médecine interventionnelle léger, réalisé en ambulatoire sur une journée va venir remplacer un geste chirurgical lourd nécessitant plusieurs jours d’hospitalisation. Il y a donc bien une véritable révolution dans le parcours de soins : on peut transformer des lits de chirurgie lourde en lits de médecine ambulatoire, avec un gain à la fois pour les patients, mais aussi pour l’effort économique de la Nation.

Ces Rencontres arrivent à un moment important, car nous souhaitons mettre un terme au recul de ce secteur stratégique. En effet, si nos entreprises sont capables de créer de nouvelles solutions médicales, de générer des emplois et de contribuer fortement à la balance commerciale de ce pays, qui reste très déficitaire, on observe un recul de la place de la France dans la production pharmaceutique, pour laquelle nous sommes passés en moins de 10 ans de la 1re à la 5èmeplace européenne, tandis que nous passions de la 1re à la 6e place pour la recherche clinique au cours de la même période. Le corollaire de ces évolutions, c’est une stagnation des exportations, une baisse des investissements, une stagnation, voire une régression des emplois, ainsi qu’un allongement des délais d’accès au marché, toutes choses qui sont préjudiciables pour ce pays. Selon l’EFPIA (European Federation of Pharmaceutical Industries and Associations), la place de la France a régressé depuis 2009, pour se classer désormais 5e ex aequo, en passant de 25 à 20 milliards d’euros de production, tandis que nos concurrents directs sont passés de 20 à 30 milliards d’euros. Une évolution similaire s’observe sur les dispositifs médicaux.

Ces constats ont été partagés avec le gouvernement, dans le cadre d’un vrai dialogue avec les industriels de santé, et cela a conduit à la construction d’un 8e CSIS (Conseil Stratégique des Industries de Santé) de rupture, prometteur d’un tournant : il s’agit de construire en France, aux côtés de l’aéronautique et de la filière agroalimentaire, des industries de santé qui seront le fer de lance d’une France rayonnante demain. L’ambition du Premier ministre a été affichée, avec des mots très porteurs de sens, et le gouvernement a parfaitement compris sa responsabilité de travailler à la fois sur l’attractivité de nouveaux investissements et sur la compétitivité, c’est-à-dire sur la défense des investissements déjà réalisés sur le sol français, qu’ils soient français ou étrangers. Ce 8e CSIS constitue une plateforme de mesures ambitieuses, pilotée par un comité de suivi, ce qui est une première et un gage de ce que le gouvernement souhaite prendre de façon très sérieuse la mise en œuvre de ses recommandations, mais aussi la mesure de l’efficience des décisions qui ont été portées.

Nous avons toutefois exprimé, à l’occasion de ce nouveau CSIS, notre vigilance, car l’on sait que lors d’autres exercices de ce type, des ambitions de long terme ont pu être contrecarrées par des arbitrages budgétaires de court terme. De telles incohérences se retrouvent dans le PLFSS 2019, au nom d’une pratique du rabot en vigueur depuis environ 8 ans et qui se traduit par une économie de 2 milliards d’euros sur les produits de santé, soit un peu plus que les années précédentes. Cela explique que le chiffre d’affaires de la pharmacie ne progresse plus depuis si longtemps. Je ne vois pas comment on peut affirmer qu’un secteur est stratégique si son chiffre d’affaires reste aussi contraint… Pourtant, si nous avons reculé en 10 ans, nous sommes capables de regagner les places perdues par la France en 5 ans, c’est-à-dire pendant le temps d’un quinquennat, en saisissant la vague d’opportunités qui est en train d’arriver, avec les thérapies innovantes, l’intelligence artificielle, mais aussi en profitant de l’opportunité créée par le Brexit, car beaucoup d’industriels se posent aujourd’hui la question de la légitimité d’implanter leurs futurs sites de production au Royaume-Uni. Sur ce dernier point, c’est à la France de faire valoir ses atouts, comme elle l’a fait pour l’industrie du service bancaire.


Ouverture

Thomas Courbe

Directeur Général des Entreprises au Ministère de l’Économie et des Finances

Ce que nous faisons aujourd’hui dans le secteur de la santé s’inscrit dans la démarche plus globale de la politique économique générale du gouvernement, alors que la première année du quinquennat a déjà permis des réformes économiques très structurantes :

  • un effort considérable sur la fiscalité des entreprises, avec la trajectoire de réduction de l’impôt sur les sociétés ;
  • la sanctuarisation du crédit d’impôt recherche ;
  •  l’évolution du dispositif fiscal pour les jeunes entreprises innovantes, notamment dans le secteur de la santé ;
  •  la réforme du marché du travail.
  • la relance de la formation, au travers du Grand Plan d’Investissement de 15 milliards d’euros et de la réforme de la formation professionnelle et de l’apprentissage ;
  • le vote à l’Assemblée nationale de la loi Pacte, qui est centré sur la croissance des PME, dont beaucoup constituent votre écosystème, mais qui porte aussi une transformation de la conception du rôle de l’entreprise dans la société — transformation qui est particulièrement adaptée à votre secteur — et de nouvelles règles de partage de la valeur créée dans l’entreprise, porteuses de croissance pour les entreprises qui en feront usage.

Les engagements du CSIS rappelés par Yves L’Epine constituent un ensemble de mesures portées par le Premier ministre qui sont sans précédent par leur ambition et porteront sur :

  • les délais d’accès au marché ;
  • la mobilisation de la Recherche (mandataire unique, échanges de personnel, Health Data Hub).
  • la volonté de faire tout ce qui est possible pour favoriser l’écosystème de l’innovation, avec la perspective de créer un hub mondial en matière de biotechnologies avec les 2 milliards d’euros de financements publics et privés notamment au travers du fonds Innobio 2 ;
  • un dialogue plus simple et plus lisible entre les entreprises et les pouvoirs publics, dans le cadre du comité de suivi du CSIS.

S’agissant du PLFSS, dont le vote n’est pas terminé, je ne peux que vous confirmer la volonté du gouvernement de tenir ses engagements du CSIS. J’espère que la table ronde qui aura lieu tout à l’heure ne me démentira pas.

Le contrat de filière est cohérent avec les mesures que nous avons prises dans le CSIS, puisqu’il a vocation à mettre en avant une nouvelle approche, plus contractuelle, avec l’ensemble des filières industrielles, avec l’idée d’une feuille de route partagée entre elles et l’État, et structurée autour d’axes de progrès structurants, comme l’internationalisation ou la numérisation des entreprises, mais aussi de projets très concrets. Le contrat de filière des industries de santé est particulièrement prometteur et nous pensons avancer vers sa conclusion avant la fin de l’année.

« Je ne peux que vous confirmer la volonté du gouvernement de tenir ses engagements du CSIS. »

Nous portons aussi une action de politique industrielle territoriale forte, qui concerne votre secteur. Le Premier ministre a ainsi annoncé il y a quelques semaines un grand plan de numérisation des PME industrielles, dont 10 000 sur 33 000 seront diagnostiquées et accompagnées sur ce terrain au cours des prochaines années.

Enfin, notre politique d’innovation complète notre politique sectorielle, avec un accent particulier mis sur l’innovation de rupture, ce qui est une nouveauté dans cette politique publique. Vous noterez que le premier grand défi qui a été sélectionné par le Conseil de l’Innovation est celui de l’intelligence artificielle pour les diagnostics médicaux. Un tel choix est très porteur de sens pour la société française.


Quelle place pour les entreprises françaises dans l’écosystème de l’innovation ?

Participent à cette table ronde :

  • Maryvonne Hiance, Présidente de France Biotech, Vice-Présidente et Directrice de la Stratégie de OSE Immunotherapeutics
  • Franck Leroux, Vice-Président Stratégie industrielle, Innovation et Management de Projets Plateforme Biologique, Sanofi
  • Laurence Mégard, sous-Directrice des industries de santé et biens de consommation, Direction Générale des Entreprises
  • Pierre Moustial, Président de Medtech in France, Directeur Général du Groupe Urgo

La table ronde est animée par Yves L’Epine, Directeur Général de Guerbet et Denis Delval, Président-Directeur Général du LFB

Yves L’ÉPINE

Nous avons réuni à cette table ronde ceux qui structurent le tissu des entreprises, des start-up et des PME de la biotech et de la medtech française. Comment se positionnent vos secteurs par rapport à la compétition mondiale ?

Maryvonne HIANCE

France Biotech, qui a pour vocation de faire en sorte que les start-up deviennent des ETI (entreprises de taille intermédiaire) mondiales, publie chaque année depuis quinze ans un panorama des entreprises des technologies innovantes de la santé en France. De plus, nous avons décidé cette année de commander au BCG une étude prospective sur ce que sera la biotech en France en 2030. Le constat du panorama est extrêmement positif, car la France est :

· un des premiers pays au regard du nombre de sociétés créées ;

· le pays européen qui accueille le plus de sociétés biotech cotées en bourse, avec le deuxième marché d’actions mondial après le Nasdaq, avec toutefois une capitalisation assez faible ;

· 80 % des sociétés créées le sont par des chercheurs issus de la recherche académique, qui ont la volonté de transformer leur concept en produit.

L’étude prospective du BCG a par ailleurs montré que le top 10 des entreprises de biotech pèse 8 milliards d’euros de capitalisation boursière, ce qui est vraiment significatif. Elle prévoit qu’en 2030 ces sociétés devraient employer plus de 130 000 personnes, pour 40 milliards de chiffre d’affaires. Cette étude visait à comparer la France avec l’écosystème de Boston, car si la France a commencé en biotech avec 20 ans de retard sur celui-ci, nous sommes en train de rattraper le terrain perdu, grâce à la force de notre science.

Pierre MOUSTIAL

Alors que la France a des champions dans la plupart des grands secteurs de l’économie, et les entreprises du G5 en sont l’illustration, ce n’est pas le cas dans les medtech malgré une recherche de taille et de qualité mondiale, avec l’INSERM et l’AP-HP qui figurent parmi les dix premiers instituts mondiaux. Nous avons des chercheurs en physique, en chimie et en électronique de classe mondiale, dont des prix Nobel. Le problème c’est que nous sommes des géants de l’innovation et de la recherche, mais des nains de l’entreprise. Sur les 1 200 entreprises du medtech présentes sur notre territoire, 900 sont françaises, il s’agit à 95 % de TPE réalisant moins de 2 millions d’euros de chiffre d’affaires et employant moins de 10 personnes. Seule une d’entre elles réalise plus de 500 millions d’euros de chiffre d’affaires. Il y a donc une difficulté réelle à passer au rang de champion français, européen et mondial. Sur les 100 premières entreprises mondiales, 50 sont américaines, mais aucune n’est française… Nous n’avons pas un problème de start-up, mais de « scale-up » (changement d’échelle) : nous ne sommes pas capables de faire grandir nos entreprises.

Je suis cependant très optimiste, comme Maryvonne Hiance, car il n’y a pas de raison pour que nous soyons incapables de faire ce qu’ont fait les Américains à Boston ou San Francisco. Le fait que la croissance des technologies médicales soit d’un peu plus de 5 % par an donne à penser que ce secteur va doubler d’ici à 2030. C’est d’autant plus positif qu’il est diversifié et très riche en emplois, puisqu’il s’étend des scanners aux ondes ultra-focalisées en passant par les pansements et autres cathéters. Nous employons déjà 85 000 personnes en France et nous estimons que nous pourrions tripler ce nombre. Il est à noter que si la santé est globalement exportatrice, le secteur des technologies médicales importe 9 milliards d’euros alors qu’il n’exporte que 7 milliards d’euros, malgré notre grande capacité d’innovation.

Yves L’ÉPINE

Comment envisagez-vous la problématique du financement de nos start-up pour faire le scale-up ?

Maryvonne HIANCE

Le frein du financement est majeur. Si nous avons autant de sociétés cotées en bourse, c’est à cause de la pénurie de fonds de capital-risque et d’investissement précoce. On compte moins de 5 sociétés de capital-risque spécialisées en France. Je pense que nous avons assez de financements publics. La BPI est un outil fantastique, aussi bien en termes d’accompagnement que de financement, à l’image de sa contribution à Innobio 2. L’État a fait un effort considérable, mais ce qu’il nous manque, ce sont les fonds privés. Il y a beaucoup d’argent en France, mais il ne va pas vers la santé. Il est compliqué pour les gestionnaires de fonds d’investir en santé, à cause notamment des délais de développement et de l’absence de vraie référence au niveau national. Surtout, il n’existe pas un écosystème comparable à celui de Boston. Nous n’avons pas assez d’analystes financiers susceptibles d’aider le fléchage de l’épargne vers les start-up de la santé.

Yves L’ÉPINE

Où est la carence de la France lorsqu’il s’agit d’escalader les tours de table successifs, qui permettent de transformer une start-up en PME ? On se souvient que l’avantage fiscal lié à l’investissement dans les petites entreprises a été supprimé.

Pierre MOUSTIAL

Les sociétés de medtech françaises n’étant pas autofinancées sur leur marché national, contrairement aux Américains et aux Chinois qui trouvent sur leur territoire les moyens d’attaquer les pays étrangers, la problématique de financement est encore plus cruciale pour elles. Cela les conduit à faire plusieurs erreurs, dont la principale est d’aller en bourse trois ans trop tôt, ce qui oblige à « sur-promettre », puis à décevoir et à voir son cours de bourse s’effondrer. Une fois que le cours de bourse est effondré, on ne peut plus faire la 2e ou la 3e levée de capital, ce qui rend difficile l’animation de la stratégie de la société, notamment à l’international. Or pour aller aux États-Unis, il ne faut pas jouer « petit bras » et y mettre les moyens.

Alors que l’industrie du financement de l’amorçage est très bonne, que le soutien de l’État est l’un des meilleurs au monde, à égalité avec celui d’Israël et que nous disposons de fonds comme PAI ou les fonds américains, je me souviens que Guy Vallencien a affirmé à Édouard Philippe lors du CHAM (Convention on Health Analysis and Management) qu’il était impossible de trouver 50 millions d’euros pour une société de medtech en France, et que celui-ci lui a répondu en substance « qu’il suffisait de traverser la rue ». Tous deux avaient raison : quand vous avez une société qui fait des cash-flows et qui dégage une rentabilité, vous pouvez même lever 500 millions d’euros, ou 1 milliard. Ce n’est pas le cas pour une société qui vient de faire la preuve de concept scientifique et qui a besoin des 50 millions pour se lancer sur le marché allemand ou américain. Pour dépasser cet obstacle, il faut que les fonds se positionnent entre la situation d’amorçage et le LBO, au stade intermédiaire de financement de la croissance, et j’ai la conviction qu’ils pourront, comme leurs homologues américains, gagner très confortablement leur vie.

Yves L’ÉPINE

En pratique, on risque d’avoir à traverser non pas la rue, mais l’Atlantique, pour trouver les financements, à l’image de plusieurs belles pépites françaises, dont Rosa. Et l’on arrive à ce paradoxe que l’argent des contribuables, qui a été prêté par la BPI et le CIR, finit entre les mains d’investisseurs stratégiques américains, et sous pavillon américain. Comment faire pour éviter cela et créer des licornes françaises ?

Maryvonne HIANCE

À France Biotech, notre feuille de route vise à ce que les start-up deviennent des ETI mondiales à partir de leur base française et en restant implantées sur le territoire. Nous avons identifié quatre freins :

· le financement et l’insuffisance du capital-risque ;

· l’absence d’un cadre fiscal attractif pour des experts et des administrateurs indépendants étrangers (les BSPCE[1], qui permettent d’éviter les jetons de présence, constituent une solution sur laquelle nous travaillons) ;

· les freins légaux, notamment en matière d’essais cliniques, un domaine dans lequel nous sommes les derniers, puisqu’il faut en moyenne 4 mois pour les réaliser en Belgique contre 18 mois en France, en raison du tirage au sort aléatoire, de mauvais logiciels et d’une application trop zélée du principe de précaution en matière de conflits d’intérêts. (Un groupe de travail animé par Alexandre Régniault — administrateur de France Biotech et avocat chez Simmons& Simmons — a suggéré au législateur la levée de ces barrières et l’instauration d’un tirage au sort intelligent, qui l’a implémenté dans un texte de loi, adopté il y a quelques jours par l’Assemblée nationale)

· le clivage privé/public, qui nuit aux transferts technologiques des centres académiques vers les entreprises.

Yves L’ÉPINE

Les mesures portées par le CSIS et le Premier ministre commencent-elles à provoquer une réimpatriation des essais cliniques ?

Maryvonne HIANCE

C’est le cas, comme nous l’a confirmé l’ANSM et grâce au CSIS, on note déjà une amélioration sensible de la situation.

Pierre MOUSTIAL

Faute d’une impulsion politique suffisante, nous nous alignons dans la course du combattant internationale avec des sacs de 30 kilos, contre 15 kilos pour les Américains et 5 pour les Chinois. À cet égard, l’accès au remboursement est un point clé pour pallier les difficultés d’autofinancement sur le marché national, mais aussi pour jouer sur l’effet vitrine de la France à l’international : comment prétendre avoir une innovation de classe mondiale si elle n’est pas remboursée sur son propre marché ? Le Forfait Innovation ne fonctionne pas, ou de manière trop complexe. La lumière au bout du tunnel c’est l’inscription transitoire au remboursement. Il s’agit d’un système qui permet d’aller plus rapidement sur le marché, sous couvert d’une étude clinique, avant confirmation de l’AMM deux ou trois ans plus tard sur la base d’une nouvelle étude permettant au besoin de recalibrer le prix de l’innovation. Cette mesure pragmatique et efficace, qui repose sur un partage des risques avec l’État, est en cours de discussion, notamment dans le cadre du CSIS. Il serait très décevant qu’elle soit limitée aux seules maladies graves et rares pour lesquelles il n’y aurait pas d’alternative thérapeutique.

Yves L’ÉPINE

Cette limitation serait effectivement extrêmement pénalisante, car un dispositif médical a toujours une alternative, par exemple la chirurgie. On peut encore modifier le texte et obtenir le remboursement transitoire des DM innovants.

Pierre MOUSTIAL

C’est d’autant plus nécessaire que ceux-ci sont des sources potentielles d’économie considérables à très court terme, en favorisant l’hospitalisation de jour et en raccourcissant les délais de diagnostic. Charge aux entreprises concernées de le démontrer, car, comme le disent les Américains, « il n’y a pas de repas gratuit ».

Autre point de blocage majeur : le marquage CE, dont les délais et les contraintes risquent de conduire des entreprises au dépôt de bilan. Aux États-Unis, l’instauration du Parallel review program va permettre d’accomplir simultanément les démarches d’évaluation par la FDA et les démarches de remboursement par le CMS et les assurances privées. C’est une opportunité considérable : le plus gros marché du monde va devenir le plus simple du monde.

Au-delà de l’impulsion des pouvoirs publics, il nous incombe, en tant qu’industriels, d’arrêter de « jouer petits bras ». Si nous voulons créer une de ces fameuses licornes, on ne peut pas négliger le fait que les deux tiers du marché mondial de la santé seront localisés aux États-Unis et en Chine en 2030. D’où le besoin de financement pour faire de la croissance externe et lancer des partenariats.

Laurence MEGARD

Merci beaucoup pour ces témoignages et les retours positifs que vous avez pu exprimer sur certains des dispositifs qui ont été mis en place par les pouvoirs publics.

Pour revenir sur les différents points soulevés, je vais tenter d’apporter des éléments de réponse :

Il apparaît que les biotechs et les medtechs sont toutes deux confrontées au sujet du recrutement et des compétences. La pénurie d’analystes financiers spécialisés est une illustration. Dans ce domaine je pense que nous nous heurtons aussi en France à un problème culturel de faible appétence au risque. Nous avons évoqué dans le cadre du CSIS la nécessité de sensibiliser les étudiants des grandes écoles de commerce au secteur de la santé.

. La longueur des délais de marquage CE s’explique par le fait qu’il n’existe plus qu’un seul organisme francophone notifié et que nous sommes confrontés à une problématique de recrutement d’experts.

Nous avons bien avancé sur les essais cliniques avec l’adoption de la loi sur le tirage au sort des CPP. L’ANSM s’est engagée à une réduction des délais et ses effectifs ont été accrus. C’est l’un des quick wins du CSIS.

Enfin, je vous suis totalement sur la nécessité de s’inscrire dans une logique d’écosystème pour favoriser le passage d’une start-up à une ETI, car les dirigeants ont souvent besoin d’être accompagnés par des interlocuteurs expérimentés.

Denis DELVAL

Au-delà des biotechs et des medtechs, l’industrie pharmaceutique connaît depuis quelques années le passage de molécules essentiellement chimiques à des molécules biologiques, ces dernières faisant d’ailleurs l’objet de copies sous forme de biosimilaires. Sanofi ayant été l’un des premiers en France à prendre le virage de la bioproduction, pouvez-vous nous dire quels défis elle a dû relever pour y parvenir ?

Franck LEROUX

Sanofi est un producteur biologique depuis plusieurs décennies, au travers de trois pôles :

· la production d’enzymes pour les maladies rares à Boston, grâce à l’acquisition de Genzyme ;

· la production d’insuline à Francfort ;

· les vaccins, avec deux usines de classe mondiale à Marcy l’Étoile (Lyon) et Val-de-Reuil (Normandie). 5 000 personnes travaillent en France chez Sanofi Pasteur.

Nous sommes partis du constat, en 2008, qu’il fallait s’appuyer sur la technologie des anticorps monoclonaux, alors que nous en étions absents. Il a donc été décidé d’axer toutes nos forces de développement sur la construction d’un réseau autour des anticorps monoclonaux. L’Europe a été ciblée et particulièrement la France, avec l’usine de Vitry, dans laquelle nous avons investi 400 millions d’euros, parce qu’il fallait reconditionner totalement ce site chimique pour y installer une plateforme de développement et de production. Il a fallu former 400 opérateurs sur place. Nous avons mobilisé nos compétences disponibles en France, dont celles qui existent dans la production de vaccin à Lyon et en Normandie. Nous disposons au bout de six ans d’un bâtiment de production flambant neuf à Vitry, « Biolaunch ». Nous venons aussi de lancer un premier produit pour le diabète, le Praluent®, qui vient d’être validé par l’ensemble des autorités de santé, dont la FDA. Et j’ai le plaisir d’annoncer que notre premier anticorps monoclonal anticancéreux, développé et produit à Vitry, va être lancé en 2019 sur l’ensemble des marchés mondiaux.

Au travers de cette aventure, je voulais apporter un message d’espoir : oui, la France a tous les atouts pour réussir dans la production biologique.

Denis DELVAL

Quels sont les grands enjeux à dix ans d’une entreprise comme la vôtre. Quelles mesures pourraient faciliter l’émergence d’un écosystème porteur ?

Franck LEROUX

Nous sommes sur un marché en croissance, qui reposera sur 9 milliards d’habitants dans dix ans. La production d’anticorps monoclonaux de Vitry va être multipliée par 5 dans les trois ans qui viennent, alors que celle de notre site belge sera multipliée par 3. L’accompagnement de cette croissance vertigineuse passera par des recrutements, aussi bien en France, en Belgique qu’en Europe. Le lancement de nos produits sur les différents marchés nécessitera un management de la diversité intense. La transformation du site de Vitry en site biologique va bien sûr être associée à l’arrivée des technologies digitales. Le site de Vitry, Biolaunch, sera le cadre d’une mutation sur la façon de produire, avec de nombreux systèmes innovants. Surtout, il nous faut tout faire pour conserver en France les nombreux talents issus des universités et des écoles d’ingénieurs. Cela suppose que nous sachions les mettre en contact direct et permanent avec les start-up et les grandes entreprises, comme c’est le cas à Boston, que ce soit à Harvard ou aux MIT. Il faut les intégrer dans nos unités de développement et de production dès leur entrée à l’école.

Laurence MEGARD

Le gouvernement a des ambitions très fortes en matière de bioproduction, comme pour l’intelligence artificielle (IA), car c’est un axe stratégique pour la France. L’exemple pionnier cité par Sanofi et les nombreuses avancées prometteuses dans la biotech appelent un effort de structuration. Nous avons annoncé dans le cadre du CSIS que nous souhaitions voir se créer un hub mondial en biotech. Le Premier ministre a lancé en juillet une mission transverse avec les présidents des Comités stratégiques de filières santé, alimentaire et chimie pour travailler sur la bioproduction. Elle doit rendre un pré-rapport en novembre prochain et permettra d’identifier d’éventuels verrous technologiques communs entre ces trois secteurs, mais aussi de dresser une feuille de route avec des propositions d’actions.

Dans le cadre du Comité stratégique de filière santé, nous essayons de structurer un projet très ambitieux sur le secteur de la bioproduction en santé. Un travail de fond est engagé avec le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche qui doit permettre de faire évoluer les choses. À l’occasion de la loi Pacte, nous avons progressé sur le statut du chercheur-entrepreneur en traitant les problématiques de conflits d’intérêts ou de détention de capital de startup en cas de retour vers la recherche publique.

La logique d’écosystème n’implique pas que l’État, mais aussi les partenaires industriels, qui doivent travailler ensemble sur des projets communs, ce qui est aussi la finalité des contrats de filière. S’agissant du volet emplois/compétences, nos universités doivent faire en sorte que les personnes qu’elles forment soient mieux adaptées au marché de l’emploi de demain, mais il incombe aussi à la profession de faire savoir quels seront ces emplois clés de demain.

Le fonds Innobio 2 est alimenté à 50 % par l’État et beaucoup des membres du G5 Santé y participent aussi. J’invite ceux qui ne l’auraient pas encore fait à l’abonder.

Question de la salle

Les Conseils Régionaux étant en charge du développement économique et de l’emploi, mais pas de l’enseignement supérieur, ne pensez-vous pas qu’il y aurait à créer des ponts très étroits entre l’enseignement supérieur et les écosystèmes de l’emploi ?

Laurence MEGARD

Les écosystèmes régionaux sont évidemment indispensables, sachant que l’on compte 400 sites industriels sur toute la France. Les pôles de compétitivité, dont nous initions la phase 4 sont essentiels à notre dispositif, alors qu’une nouvelle organisation territoriale se met en place.

De la salle, Hervé PELLOUX, PU-PH au CHU et à l’université de Grenoble

Je souscris à tout ce qui a été dit, en particulier sur la nécessité de garder les plus jeunes dans l’écosystème de la France. Qu’allez-vous faire pour diminuer le poids du sac à dos de 30 kilos que nous trimballons en France face à la concurrence internationale ?

Laurence MEGARD

Les actions menées par le gouvernement depuis un an et demi ont déjà été décrites : réforme du code du travail, baisse de l’impôt sur les sociétés par exemple, un ensemble de mesures macro-économiques déclinées dans la loi Pacte, et des mesures sectorielles dans le cadre du CSIS et des Comités stratégiques de filière. J’y ajouterai une nouvelle action intitulée « Territoires d’Industrie », qui a été lancée par le Premier ministre au mois de septembre. Le 22 novembre lors du grand événement nommé « L’usine extraordinaire », seront annoncés une centaine de territoires d’industrie sur toute la France, à l’image de ce qui a été fait dans le cadre des actions « Cœur de Ville » pour revitaliser le territoire. Ces différents niveaux d’action doivent s’imbriquer et permettre cet effet de levier que nous recherchons tous.

Maryvonne HIANCE

Les signes de confiance donnés par le Premier ministre et le chef de l’État dans le cadre du CSIS et du Plan Ma Santé 2022 étaient indispensables, car la santé est un enjeu économique et sociétal majeur au plan mondial dont on ne parle de manière aussi forte que pour le numérique et le digital. Pour mémoire, le marché mondial de la santé atteint 1 000 milliards d’euros, dont 500 milliards pour les biotechs.


Grand Témoin

David Meek

Directeur Général d’IPSEN

Je suis le directeur général d’IPSEN depuis juillet 2016, basé à Paris. Ma carrière s’est déroulée dans différents pays, notamment en Suisse, en Italie, aux États-Unis et au Canada. Je me considère donc comme un citoyen du monde. J’ai travaillé pour de grands groupes tels que Johnson & Johnson et Novartis. J’ai aussi eu l’opportunité d’évoluer au sein de sociétés de biotechnologie comme Baxalta ou Endocyte.

Le marché pharmaceutique français est le sixième au niveau mondial et a le potentiel d’accroître encore sa place. Selon une étude de France Biotech et du BCG, 130 000 emplois supplémentaires pourraient être créés dans le secteur de la biotechnologie d’ici 2030. La France a par ailleurs une excellente réputation en matière de recherche scientifique, elle est particulièrement bien positionnée en termes de Prix Nobel et médailles Field.

Elle possède également des institutions prestigieuses telles que le CNRS, l’INSERM, le Commissariat à l’Énergie Atomique, et de nombreux hôpitaux universitaires d’excellence. Les récentes réformes introduites par le président Macron et son équipe représentent une opportunité pour le pays.

Toutefois, d’autres pays présentent des caractéristiques aussi intéressantes, voire meilleures parfois. Il est donc important de poursuivre les réformes nécessaires de l’écosystème français de la santé, qui est en compétition au niveau international. De nombreuses barrières à l’innovation ont été supprimées aux États-Unis, en Europe et même en Chine. En France, l’accès au marché des médicaments est encore trop long : il atteint en moyenne 530 jours, contre 66 au Royaume-Uni et 45 en Allemagne. Les patients n’ont pas le temps d’attendre !

« En France, les start-up et les sociétés de biotechnologie disposent de financements au démarrage, mais les financements supplémentaires nécessaires pour soutenir leur croissance restent insuffisants. »

En conséquence, certaines biotechs quittent la France. Ipsen en participant respectivement à InnoBio 1 et InnoBio2 fournit des capitaux à ces sociétés innovantes, mais le secteur a aussi besoin du soutien financier important d’investisseurs en capital-risque.

Il me semble important de renforcer notre « écosystème innovant de la santé », ce qui implique de fixer des objectifs communs pour soutenir l’innovation.

De nombreuses actions peuvent être mises en œuvre pour améliorer l’écosystème français, à l’image de ce qui existe à Boston, San Francisco ou encore Shanghai. Je suis personnellement engagé dans la collaboration entre les communautés française et américaine, notamment celles de Paris Saclay et de Boston.

Il conviendrait aussi de renforcer le rôle de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) dans l’évaluation des produits de santé en Europe. À cet égard, le Brexit peut être une opportunité pour l’ANSM.

Je suis optimiste sur le potentiel de la France au niveau mondial si nous travaillons sur les points que j’ai évoqués. Cependant, l’annonce récente d’économies de plus de 2 milliards d’euros sur les produits de santé dans le PLFSS ne va pas dans la bonne direction.

Il y a deux ans, j’ai rejoint IPSEN pour transformer cette entreprise en un groupe biopharmaceutique spécialisé d’envergure mondiale. Les innovations proviennent de toutes les directions, et les sociétés doivent être ouvertes et perméables aux idées émanant du monde entier. La collaboration entre les entreprises du secteur, les États, les patients, les chercheurs, les investisseurs et les autres parties prenantes devient encore plus essentielle et d’autant plus critique, car le système de santé fait face à de nombreuses contraintes financières.

L’État doit conforter son rôle de partenaire fort de l’industrie biopharmaceutique, pour le bien des patients en France. Ipsen, groupe pharmaceutique de près de 90 ans, continuera d’investir dans les pays offrant des environnements favorables à l’innovation et prévisibles.

Catherine Liabeuf, du laboratoire Servier

Selon vous, de quelle façon pourrions-nous renforcer les ponts existant entre Paris Saclay et Boston Cambridge ?

David MEEK

Il conviendrait de mettre en place davantage d’événements tels que le Boston Paris Biotech Summit, qui rassemblent les acteurs des deux écosystèmes. Je suis d’ailleurs intervenu dans les deux premières éditions. Tous les acteurs de la chaîne de valeur doivent pouvoir échanger et dialoguer. Ce serait également dans l’intérêt de Boston, qui a besoin de partenaires européens. Les Rencontres du G5 Santé sont également une bonne opportunité pour présenter les atouts de Paris Saclay.


La co-construction de l’écosystème dans les territoires : rêve ou réalité ?

Participent à cette table ronde :

  • Carole Bureau-Bonnard, Députée de l’Oise, Vice-Présidente de l’Assemblée nationale
  • Bruno Goud, Directeur du Centre de Recherche de l’Institut Curie
  • Christine Guillen, Co-fondatrice et Directrice Générale d’Elsalys Biotech
  • David Kimelfeld, Président de la Métropole de Lyon
  • Bertrand Valiorgue, Secrétaire Général de la Fondation de l’Université Clermont Auvergne
  • Jean-David Zeitoun, Co-fondateur de l’INATO

La table ronde est animée par Guillaume Leroy, Président France de Sanofi et Jean-Frédéric Chibret, Président des Laboratoires Théa.

Guillaume LEROY

Vue depuis l’étranger, la France constitue un seul et unique écosystème. Quant à l’écosystème de la santé, il est résolument compact et il rayonne dans le monde entier, grâce à notre histoire dans les sciences de la vie, dans la recherche, dans le développement, dans la production et dans la mise à disposition de solutions innovantes pour les patients du monde entier. Il est de notre responsabilité aujourd’hui d’entretenir cet écosystème et de le rendre encore plus fort. Nous allons essayer de répondre, au cours de ces trois questions :

· Est-ce que la co-construction est possible et souhaitable dans notre écosystème de santé ?

· Comment les chercheurs, les établissements de soins, les professionnels de soins et les élus, mais aussi les industriels collaborent afin de mettre à disposition les meilleurs traitements pour les patients, et dans les délais les plus courts ?

· Comment les partenariats entre les industriels et les autres parties prenantes peuvent devenir indispensables, naturels et reconnus par tous, y compris par le grand public ?

Bruno Goud, pouvez-vous nous parler des partenariats entre l’Institut Curie et l’écosystème de la santé français ?

Bruno GOUD

L’Institut Curie est une fondation d’intérêt public qui associe un centre de recherche de 1 200 personnes avec deux hôpitaux localisés respectivement rue d’Ulm et à Saint-Cloud. Un département de recherche translationnelle permet de faire le lien entre la recherche, la clinique et la préclinique. Nos 12 unités de recherche sont en co-tutelle avec l’INSERM et le CNRS, ainsi qu’avec les universités Paris 5, Paris 6 et Paris Sud. Nos sites sont localisés à Paris rue d’Ulm, à Orsay, Campus Paris Sud et à Saint-Cloud et chacun d’eux entretien de nombreuses interactions avec son environnement.

Sur le site de Paris, notre écosystème est composé de l’université PSL, qui réunit plusieurs établissements de la Montagne Sainte-Geneviève, un endroit unique au monde, dont l’école Physique Chimie, l’ENSP et l’École des Mines. Nous avons créé dans ce cadre l’Institut de Convergence Q-life, dont je suis le coordinateur et qui, grâce au Programme d’Investissement d’Avenir, réunit 160 équipes développe les interfaces entre la biologie quantitative, la physique et la chimie.

Notre site d’Orsay constitue un écosystème avec Paris Sud, le CEA et l’Institut Gustave Roussy, avec la construction de l’Université Paris Saclay. Nous y développons ensemble notamment le programme Nanotherad qui vise à développer la biologie des radiations, la radiothérapie étant l’un des héritages de Marie Curie.

Enfin, notre site de Saint-Cloud est implanté à proximité d’un nouvel hôpital doté d’un centre de recherche, de l’Université Saint-Quentin-en-Yvelines et du CHU Ambroise-Paré.

En 2017, l’Institut Curie avait passé 270 contrats collaboratifs avec des chercheurs du monde entier. S’y ajoutent des partenariats industriels et institutionnels, dont un avec l’Institut Pasteur et le Centre Léo Bérard à Lyon, mais aussi avec des institutions étrangères comme le NCI (National Cancer Institute), l’Institut Weizmann ou l’Institut Bangalore en Inde.

Nous participons aussi à de grands projets transnationaux, comme le projet européen LifeTime, qui est animé par Geneviève Almouzni, une ancienne directrice de notre institut, et qui vise à développer certains aspects de la recherche fondamentale. Nous sommes également impliqués dans le projet Séquoia, la seule plateforme de séquençage génomique à très haut débit qui marche à peu près.

Dans le domaine de la valorisation, l’Institut Curie noue des partenariats avec les industriels, à l’image de la chair IMOCA ((ImmunoMOdulation-CAncer) consacrée à l’immunothérapie dans le domaine du cancer. Nous participons également au Projet Prairie qui réunit l’Inria et CNRS pour développer l’Intelligence Artificielle (IA) et l’utilisation des données.

Guillaume LEROY

Jean-David Zeitoun, quel est l’écosystème d’INATO, la start-up que vous avez créée dans le développement clinique ?

Jean-David ZEITOUN

Nous sommes une entreprise de service dont les clients sont essentiellement les laboratoires pharmaceutiques et tous les acteurs qui réalisent des essais cliniques. Le rationnel de la société est basé sur le constat que la réalisation de la recherche clinique pourrait être plus efficiente, car depuis 30 ou 40 ans les industriels qui ont beaucoup de mal à réaliser leurs études, malgré un réservoir de patients considérable, le taux d’inclusion de ceux-ci est extrêmement faible. Le premier produit que nous avons développé est donc un produit analysant la faisabilité des essais cliniques pour les industriels et un produit d’aide à l’identification des centres. Nous avons commencé par construire une base de données, puis des dispositifs numériques d’interrogation des centres et enfin une modélisation des essais cliniques.

Guillaume LEROY

Quelle est la qualité de relation entre votre petite entreprise et les grands groupes ?

Jean-David ZEITOUN

Les industriels ont pris conscience de la nécessité pour eux de s’ouvrir aux nouvelles entreprises médicales. Plusieurs membres du G5 Santé sont nos clients. À chaque fois que nous avons eu des discussions avancées avec un industriel, cela a toujours débouché sur un contrat, qui a toujours été étendu, jusqu’à des contrats-cadres. Nos interlocuteurs nous ont aidés à identifier leurs besoins et leurs évolutions, sachant qu’un produit numérique n’est jamais définitif, afin que ce dernier soit ergonomique, pour un usage d’emblée massivement scalable, puisque la loi des entreprises numériques est la loi des rendements croissants.

Je dois reconnaître que nous avons eu plus de mal avec les biotechs qu’avec les medtech, au point de n’avoir signé aucun contrat avec elles, bien que nous ayons de très bons échanges avec France Biotech. Ayant moins d’expérience des essais cliniques, elles ont sans doute moins conscience de la difficulté de les réaliser.

Guillaume LEROY

Saint-Exupéry disait : « L’avenir, on ne peut pas le prévoir, notre tâche est de le permettre ». À cet égard, l’écosystème de Lyon est remarquable. Qu’est-ce qui explique son succès ?

David KIMELFELD

Nous appliquons la maxime de Saint-Exupéry ! L’Institut Montaigne a qualifié Lyon et la région Rhône-Alpes de « hub mondial de la santé », c’est-à-dire un lieu où l’on peut produire et innover. Il faut dire que Lyon a une longue histoire industrielle : pour innover, l’industrie de la soie a fait appel à la chimie qui a à son tour attiré la pharmacie et les industries connexes. De plus, les politiques ont toujours su défendre le projet d’une métropole qui ne soit pas seulement tertiaire. De fait elle a, après l’Ile-de-France, le plus haut ratio d’emplois industriels par habitant. La filière santé/sciences de la vie est la filière la plus forte. Les collectivités et les acteurs économiques ont toujours su se mettre autour de la table pour construire un territoire business friendly.

La création des pôles de compétitivité a été un facteur décisif dans la construction de Lyonbiopôle par 6 industriels, qui sont aujourd’hui plus de 200, dont 175 PME. Nous avons su préserver du foncier pour des implantations d’activités industrielles, y compris au cœur des villes. La Métropole de Lyon a pu accompagner les centres de R&D, favoriser l’attractivité internationale pour benchmarcker des villes comme Boston, et faire en sorte que nous soyons présents sur l’ensemble de la chaîne de valeur, depuis la recherche fondamentale et la preuve de concept jusqu’au patient accueilli dans un outil hospitalier de haut niveau.

Guillaume LEROY

Je me souviens d’une rencontre à Lyon entre un ministre de la santé chinois et son homologue mexicain échangeant en français parce tous deux avaient suivi une partie de leur cursus universitaire en France. Quels sont les deux ou trois grands rendez-vous de l’écosystème de la santé des prochaines années ?

David KIMELFELD

L’industrie du futur est dominée par l’enjeu de la data, le numérique permettant de croiser les différentes filières des sciences du vivant. Autre enjeu : il nous faut faire comprendre que ce qui se passe en province est déterminant et qu’en conséquence le hub de la santé lyonnais doit s’imposer dans la cour des grands, et pas seulement à l’échelle nationale. Il faut en outre que les discours politiques volontaristes du président de la République, du Premier ministre et comme celui que nous avons entendu en ouverture de cette rencontre, se traduisent dans les actes, à commencer par le PLFSS.

Enfin, nous pensons qu’il manque à Lyon un talent de renommée internationale qui incarne nos ambitions, à l’image d’un grand chercheur. Pour en attirer un, il faut que l’on nous simplifie les choses sur le plan fiscal et réglementaire.

Guillaume LEROY

Madame la députée de l’Oise, comment envisagez-vous l’écosystème de votre département ?

Carole BUREAU-BONNARD

L’écosystème des industries de santé de l’Oise est plus modeste que celui de Lyon, mais nous avons l’ambition de le promouvoir à partir du noyau de Compiègne où opèrent des industries de santé, en particulier Sanofi et ses 130 salariés et où se trouve l’Université Technologique Compiègne, qui développe depuis très longtemps des filières en biotechnologie et en biomédical. Nous travaillons à densifier les relations entre notre pôle académique et les industriels. Nous jouons aussi sur le caractère attractif d’un territoire rural où la vie est moins chère et, sous bien des aspects, plus agréable pour les ingénieurs et les étudiants qu’à Paris ou dans les métropoles. Le principal pôle de recherche de l’Oise est consacré à la chimie verte, autour de Beauvais, la préfecture, Creil et Compiègne. Un projet de cluster de l’innovation est en cours sur le territoire.

Jean-Frédéric CHIBRET

Comment le législateur peut-il faciliter et accompagner l’indispensable co-construction entre la recherche en santé et les industriels ?

Carole BUREAU-BONNARD

En tant que Vice-Présidente de l’Assemblée nationale, je peux témoigner de l’envie et de la prise de conscience des parlementaires dans ce domaine sachant que cela a été l’un des thèmes de la campagne du président et de la République en Marche. Quant au Premier ministre, il a affirmé, lors du CSIS, avoir entendu vos exigences de lisibilité et de prévisibilité. Mme Vidal a décliné ce thème dans le champ de la formation et de l’orientation professionnelle. Concrètement je rappelle ce qui a déjà été mis en place ou va être voté très prochainement :

· PLFSS : un dispositif d’accès précoce à l’innovation qui permettra de garantir une rapidité de mise sur le marché aussi bien aux médicaments qu’aux dispositifs médicaux ;

· Loi Pacte : une simplification des normes, avec en particulier la création du mandataire unique pour les brevets et la facilitation des allers-retours de chercheurs entre le public et le privé, grâce à un assouplissement en matière de détention de capitaux, de versement de bonus et de progression de carrière.

· Loi d’orientation professionnelle : création de filières ouvrant la voie à la création de formations en biotechnologie dans la France entière.

Guillaume LEROY

Sachant que nous devons tous être au service des 3 à 4 millions de Français qui entrent dans l’une des 22 000 pharmacies chaque jour pour trouver une solution de santé et qu’il faut assurer la meilleure allocation des ressources publiques, comment pourrait-on garantir aux acteurs du secteur de la santé une lisibilité pluriannuelle des budgets publics ?

Carole BUREAU-BONNARD

À mon sens, il faut prendre pour exemple la loi de programmation militaire, à l’élaboration de laquelle j’ai participé en tant que Commissaire à la Défense, car cela offre aux industriels et aux start-up une visibilité sur cinq ans, sous le contrôle des parlementaires. À mon sens, le CSIS est le lieu pour développer une telle approche.

Jean-Frédéric CHIBRET

Comment les partenariats avec les industriels ont-ils contribué au développement d’une start-up comme Elsalys Biotech ?

Christine GUILLEN

Elsalys est un essaimage de la société Transgene qui a été créée il y a cinq ans. Son modèle consiste à développer des anticorps de nouvelle génération pour moduler le système immunitaire des patients atteints de cancers ou de maladies hématologiques rares le marché, soit pour les amener sur le marché, comme c’est le cas pour le produit le plus mature de notre portefeuille, soit pour les diffuser au travers d’accords de partenariats.

À ce jour, nous subissons de plein fouet la pénurie de financements pour les biotechs : après un amorçage qui s’est bien passé, puisque nous avons pu lever 17 millions d’euros, nous sommes en train de gravir le mur du scale up, avec le fameux sac de 30 kilos, qui est encore plus lourd pour nous parce que nous traitons des produits biologiques un domaine où l’unité de mesure, pour lancer un produit comme un anticorps, est le million d’euros.

À ce jour, notre portefeuille comprend 5 produits et nous avons fait le choix de dérisquer en signant très tôt des partenariats hors de notre domaine cœur de l’immuno-oncologie. Nous avons ainsi signé en début d’année avec les laboratoires Théa sur un anticorps dans le domaine de l’ophtalmologie, pour lutter contre la dégénérescence maculaire liée à l’âge et la rétinopathie diabétique, parce que cet anticorps est dirigé contre une cible qui a aussi un intérêt en oncologie. Le partenariat est donc une question de survie pour Elsalys Biotech.

J’ajoute que si les Biotech ne signent pas d’accords pour des essais cliniques, c’est parce qu’il leur est très difficile d’atteindre ce stade, ce qui les oblige à en signer au stade préclinique. Nous discutons avec l’ANSM pour obtenir une ATU (autorisation temporaire d’utilisation) pour que les patients atteints de maladies rares puissent avoir accès à nos anticorps. Si c’est le cas, nous franchirons, grâce à un partenariat avec le LFB pour la production, la marche de la commercialisation en Europe et aux États-Unis.

Jean-Frédéric CHIBRET

Votre écosystème vous a-t-il été favorable ?

Christine GUILLEN

Si nous sommes encore en vie aujourd’hui, c’est à cause de l’écosystème lyonnais et à la force du territoire Auvergne Rhône-Alpes. Ce pôle nous permet de rencontrer des financiers américains et de participer à des appels à projets européens. Nous sommes aussi soutenus depuis le début par les industriels qui, en entrant dans notre capital, ont voulu porter une vision entrepreneuriale. Ils nous aident à franchir les étapes, même si nous avons dû reporter notre introduction en bourse prévue en mai dernier, en raison d’un marché des biotechs très défavorable.

Jean-Frédéric CHIBRET

En 2007, la loi Pécresse sur l’autonomie des universités a permis à celles-ci de se rapprocher des entreprises, avec la création des fondations universitaires. L’Université Clermont Auvergne a été la première à en bénéficier. Quel en est le bilan dix ans plus tard ?

Bertrand VALIORGUE

Cette fondation a répondu à la nécessité pour notre université de créer des passerelles concrètes avec des partenaires socio-économiques. Cela a pris notamment la forme de 5 chaires d’excellence, consistant pour des partenaires à financer une recherche d’intérêt général sur des problématiques très concrètes. Ainsi, la chaire de management Santé territoire vise à repenser les parcours patients dans les traitements anti-cancer. Elle est financée par Clermont Auvergne Métropole, par le CLARA, par le CHU de Clermont-Ferrand et par le centre anti-cancer Jean Perrin.

Les laboratoires partagés sont notre deuxième outil d’insertion dans le monde de l’industrie. Nous en avons lancé 2 en 2017, qui associe un laboratoire académique d’UMR et une entreprise partenaire, dont un sur la simulation des matériaux.

En troisième lieu, nous menons une politique de clusters, dont l’Institut Analgesia qui se consacre aux problématiques de traitement la douleur et de l’addiction à la morphine, qui associe des entreprises, dont des start-up, au CNRS et à l’Inserm.

Enfin, nous avons créé un living lab en agroécologie, afin de repenser la recherche autour de problématiques très précises.

J’ajoute que l’Université Clermont Auvergne a récemment été lauréate du programme d’investissement I-SITE (Initiative-Science Innovation Territoire) qui a été créé en 2017 dans le cadre du Programme d’Investissement d’Avenir (PIA), dans le cadre duquel 340 millions d’euros sont attribués sur dix ans, pour faire de notre université un pôle d’excellence sur les thématiques suivantes : la mobilité durable, les agroécosystèmes, la santé mobilité et la vulnérabilité des territoires au risque vulcanologique


Le 8e CSIS, un tournant pour reconstruire un leadership ?

Yves L’ÉPINE, Président du G5 Santé

Cela a été dit, l’annonce récente des mesures budgétaires de court terme du PLFSS a pu créer un peu de frustration et l’on ne peut que s’étonner que l’un des quatre axes retenus par le 8e CSIS, « instaurer un dialogue de confiance », qui avait été respecté lors des travaux préparatoires, ait pu subir une « panne de micro » entre le 10 juillet et le moment où un coup de rabot de 2 milliards d’euros sur les produits de santé a été annoncé.

Vincent LIDSKY, Coordinateur de la préparation du 8e CSIS et membre du Comité de suivi

Les trois quarts des membres du comité de suivi du CSIS étant présents aujourd’hui, ils peuvent témoigner que la phase de préparation de six mois qui l’a précédé a été l’occasion de groupes de travail sur tous les sujets associant toujours des membres de l’administration et des représentants de l’industrie. Le Premier ministre a d’ailleurs déclaré que les industries de santé étaient « au croisement de la rénovation du fonctionnement de l’économie et du système de santé ». Malgré cette volonté de construire ensemble, le CSIS n’avait pas pour objet de fixer le montant des économies budgétaires rendues nécessaires par un taux de croissance plus faible qu’attendu. Le CSIS couvre déjà un champ très large puisqu’il porte sur une soixantaine de mesures, alors que notre projet initial était de n’en cibler que quelques-unes. Elles permettront de faciliter l’accès des patients à l’innovation et aux produits de santé en général.

Yves L’ÉPINE

Les membres du G5 Santé sont solidaires des mesures de soutenabilité budgétaire que vous devez mettre en œuvre et j’atteste d’une volonté de s’écouter de part et d’autre et de trouver les solutions qui permettent de conjuguer la contrainte financière avec nos objectifs de long terme. Je rappelle les trois autres axes du CSIS :

  • accélérer le délai d’accès des patients à l’innovation ;
  • transformer notre tissu industriel ;
  • décloisonner le monde de la recherche.

Des mesures concrètes ont été prises sur ces sujets depuis trois mois ?

Vincent LIDSKY

Si certaines des 60 mesures ont une échéance qui peut aller jusqu’à 2020, comme l’extension des ATU au SSR, d’autres sont déjà entrées en vigueur, par exemple en matière d’essais cliniques, avec l’accélération des procédures au sein de l’ANSM, ou la réforme des CPP. La loi Pacte favorise les transferts de technologies, le parcours professionnel des chercheurs et instaure le mandataire unique pour les brevets. Le rapport sur le Health Data Hub, qui n’est qu’une des mesures prises dans le domaine de l’utilisation des données de santé, a été rendu très récemment.

À mon sens, il faut prendre pour exemple la loi de programmation militaire, à l’élaboration de laquelle j’ai participé en tant que Commissaire à la Défense, car cela offre aux industriels et aux start-up une visibilité sur cinq ans, sous le contrôle des parlementaires. À mon sens, le CSIS est le lieu pour développer une telle approche.

On peut aussi citer, au titre des mesures immédiates, le renforcement du G-MED en charge de la certification des DM, intervenu le 1er août dernier. D’autres sujets progressent rapidement, comme le redéploiement du FABS, un fonds de 200 millions d’euros créé dans le cadre du PIA pour alimenter les fonds dans le domaine de la santé, ou Innobio 2. À ce stade, nous n’avons pas d’alerte particulière sur le fait que certains sujets seraient totalement bloqués, bien au contraire.

Yves L’ÉPINE

Les entreprises du G5 Santé ayant fait le choix localiser leur création de valeurs en France, nous avons été très sensibles à cette déclaration du Premier ministre. « Développer la prise en compte des investissements ou de l’export dans la fixation du prix, se donner une meilleure capacité d’aligner les prix faciaux français sur les prix européens sans surcoût pour l’Assurance Maladie ». En l’absence de fiche de suivi CSIS sur ce sujet, comment allez-vous concrétiser cette prise de position ?

Vincent LIDSKY

Le message que vous évoquez a bien été passé aux deux coordinateurs de la préparation du CSIS, Noël Renaudin et moi, étant entendu qu’il n’est dans l’intérêt de personne de l’officialiser par une fiche de suivi. Nous avons repris, dans le rapport que nous avons remis au Premier ministre, une proposition de prix faciaux européens pour les produits fabriqués en France et très fortement exportés, alors que l’article 18 de l’accord-cadre vise à prendre en compte l’aspect fabrication en France, mais pas l’aspect export. S’agissant de la prise en compte de la fabrication en France, un bilan sera fait du dispositif existant, sous la houlette du CEPS.

Yves L’ÉPINE

Alors que les médicaments représentent 15 % des dépenses de l’assurance maladie, ils supportent 45 à 55 %, selon les années, des économies votées dans la LFSS, le marché pharmaceutique n’évolue pas depuis huit ans. Jean-Luc Bélingard, comment pouvez-vous donner un signal de confiance aux industriels dans un tel contexte, pour qu’ils continuent à faire le choix de la France pour leurs investissements futurs ?

Jean-Luc BELINGARD, Président du Comité de suivi du CSIS et Président de CSF Santé

La réalité de l’existence du CSIS, c’est l’abandon d’une culture qui opposait « eux » (l’environnement politico-administratif) et « nous » (les industriels) : pour la première fois, nous parlons désormais de sujets qui nous sont communs. C’est nouveau et important. Les 60 mesures évoquées sont le fruit d’un échange de six mois très en profondeur. Les contraintes et la logique des uns et des autres peuvent parfois s’opposer, mais c’est normal lorsque l’on parle de la politique de santé de ce pays, qui engage plus de 300 milliards d’euros par an. Le monitoring de la mise en œuvre des mesures va être l’occasion de poursuivre notre dialogue au sein du comité de pilotage.

Si le PLFSS, qui est « sportif », est à l’identique de celui de l’année dernière, je le regrette, mais je n’en suis pas choqué, d’autant qu’il n’intervient que trois mois après la conclusion de notre CSIS. Nous aurions apprécié évidemment que ce projet de loi porte les symptômes de la culture nouvelle que j’ai évoquée. Je peux vous assurer que nous avons fait connaître notre déception au sein du comité de pilotage, que nos avis sont suivis au plus haut niveau de l’État et que certains portent leurs fruits. Nous allons évoluer vers une culture qui, étant commune, tendra vers de moins en moins d’orthogonalité.

Yves L’ÉPINE

La création d’un comité de suivi, dans un esprit anglo-saxon, est essentielle, car on n’a jamais rien trouvé de mieux que de mesurer l’efficience pour valider qu’une idée est bonne et qu’elle se matérialise en avancées concrètes. Les collaborateurs de nos entreprises sont prêts à y contribuer.

Jean-Luc BELINGARD

Dans l’optique de la création du territoire commun que j’évoquais, il faut saluer le fait que le président du comité de suivi du CSIS soit le même que le président du Comité Stratégique de Filière (CSF), une instance où nous bâtissons en commun avec l’État des outils industriels sur la bioproduction, l’IA, la résistance aux antibiotiques, etc. Haut les cœurs donc, même si ce sera de la douleur, des larmes et du sang – ça l’est déjà. Il y a au moins dans la méthode un renouveau que l’on ne peut pas contester.


La révolution numérique de la santé : source d’innovations, d’économies et de création de valeur : quel rôle pour les industries françaises de la santé ?

Participent à cette table ronde :

  • Jean-Marc Aubert, Directeur de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques au Ministère des Solidarités et de la Santé, en charge du pilotage du Health Data Hub
  • Emmanuel Bacry, Directeur de Recherche au CNRS
  • Pierre Leurent, Président et co-fondateur de Voluntis
  • Nicolas Villain, Directeur du Centre de Recherche en intelligence artificielle appliquée à la Santé de Philips France

La table ronde est animée par Olivier Laureau, Président de Servier

Olivier LAUREAU

Le titre de notre table ronde pouvant paraître très large, je vais donc indiquer quelques enjeux du numérique de la santé :

  • aller vers une médecine encore plus prédictive ;
  • aider à la décision du professionnel de santé (diagnostic, thérapie) ;
  • mettre en œuvre des traitements individualisés ;
  • concevoir les nouveaux traitements ;
  • suivre l’efficacité des solutions à plus grande échelle ;
  • veiller à la soutenabilité de l’innovation dans le temps ;
  • accompagner le prescripteur et le patient.

Quelles améliorations majeures apporte, selon vous, la révolution du numérique ?

Jean-Marc AUBERT

La révolution numérique va nous apporter énormément de données nouvelles, et à moindre coût puisqu’elles ne seront plus collectées par le biais d’enquêteurs. Si vous voulez savoir combien les patients doivent attendre pour obtenir une consultation, des applications comme Doctolib vous l’indiqueront rapidement et à moindre coût. Les usages de ces données sont extrêmement nombreux : diagnostic, accompagnement, nouveaux algorithmes, adaptation de certains traitements sur la base du rapprochement avec les données de génomiques, etc.

La production de données peut aussi faciliter une meilleure gestion d’un système de santé qui emploie quelque 2,5 millions de personnes. Le numérique pourrait ainsi aider à éclairer le paradoxe qui veut que les praticiens hospitaliers se sentent surchargés, alors que les statisticiens vous expliquent que leur nombre par habitant est supérieur à celui de l’Allemagne ou de la Suède.

Emmanuel BACRY

La révolution numérique passe par l’utilisation de nouvelles technologies issues de l’intelligence artificielle, qui recouvre :

  • de nouvelles infrastructures de gestion des données ;
  • de nouvelles façons de calculer et d’extraire des enseignements statistiques (science des données) ;
  • de nouvelles interactions hommes/machines.

La santé est un des domaines d’application majeurs de l’intelligence artificielle, Cédric Villani estimant même dans son rapport que c’est le premier. Le rôle de l’IA est appelé à être fondamental pour l’imagerie médicale, car les performances des réseaux de neurones d’apprentissage profond sont exceptionnelles.

À mon sens, l’IA ne va toutefois pas remplacer le radiologue. L’une des grandes facultés statistiques des nouvelles technologies, c’est de prendre en compte des facteurs aussi hétérogènes que la génétique et les facteurs environnementaux.

Une de mes équipes du CNRS travaille depuis 4 ans en collaboration avec les médecins et les statisticiens de la CNAM à exploiter les données du SNDS. L’objectif est de mettre au point des algorithmes de biostatistiques qui pourraient tourner de façon semi-automatique pour dépister les médicaments ayant des effets secondaires négatifs. Nous réalisons actuellement une étude sur les médicaments qui favoriserait la chute des personnes âgées, à partir d’un pool de 400 médicaments. Nous travaillons aussi sur l’optimisation des parcours de soins.

Olivier LAUREAU

Y a-t-il une difficulté liée à l’exploitation des données personnelles des patients ?

Emmanuel BACRY

D’après le RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données), le seul fait de disposer d’un fichier où une ligne correspond à un patient n’est plus anonyme, mais pseudonyme, ce qui crée un risque d’identification du patient. En tant que citoyen je souhaite que l’on protège mes données, mais en tant que chercheur je me dis qu’il faut absolument en ouvrir l’accès. Si l’on anonymise les données, on fait de l’agrégation et cela fait perdre de l’information. Le bon modèle consiste à « pseudonymer » les données en les plaçant dans une bulle sécurisée, comme c’est le cas pour les données du SNDS que nous utilisons à la CNAM.

Pierre LEURENT

S’agissant des bénéficiaires du numérique, j’identifie quatre catégories d’acteurs :

  • Le patient, qui peut être plus acteur de son suivi et de la gestion de sa santé au quotidien, qui peut aussi avoir accès à de nouvelles solutions et à des conseils spécialisés, tout en étant plus proche de son équipe soignante entre les différentes consultations.
  • Le professionnel de santé, qui accède à de nouvelles pratiques comme la télémédecine, ce qui permet une prise en charge continue particulièrement utile pour les maladies chroniques, mais aussi à un mode d’exercice pluridisciplinaire et collégial, dans le cadre de nouveaux parcours de santé.
  • Les industries de santé, qui vont pouvoir associer aux médicaments et aux dispositifs médicaux des technologies d’accompagnement, pour optimiser la performance des traitements et améliorer leur balance bénéfices/risques, par exemple en assurant un meilleur équilibre glycémique au quotidien à des patients sous insuline.
  • Le système de santé et les organismes payeurs, par le biais d’une amélioration de la qualité des soins, de la capacité de payer en fonction de la performance des soins, mais aussi de la possibilité d’éviter des hospitalisations par un suivi plus continu des patients.

Olivier LAUREAU

Pourquoi avez-vous choisi d’implanter Voluntis à Boston ?

Pierre LEURENT

Les États-Unis sont un passage obligé pour toute société ayant une ambition de leadership mondial, en raison de leur prépondérance non seulement dans la santé, mais aussi dans le software. Ce marché est très ouvert aux innovations, avec une FDA qui favorise les prises en charge précoces par les assureurs. Quant à Boston, c’est un écosystème de santé fantastique, plus orienté vers la santé que la Silicon Valley qui est plus tournée vers la consumer tech. Le réseau de la FrenchTech a été lancé à Boston et nous avons contribué à la création d’un club Healthtech qui rassemble les patrons des entreprises innovantes de notre secteur plusieurs fois par an, ce qui nous aide pour la prise en charge des aspects réglementaires, le recrutement des très bons profils ou l’accession aux financements. Enfin, Boston n’a que six heures de décalage horaire avec Paris et offre un cadre de vie très sympathique.

Nicolas VILLAIN

Dès que l’on passe dans le domaine numérique, on passe dans le virtuel et les barrières physiques tombent. Ajouter de l’intelligence virtuelle, c’est dépasser les limitations humaines (fatigue, capacité à traiter des tâches répétitives, contrôle qualité). De même qu’il est possible de développer un avion sans banc d’essai, on peut tester des milliards de molécules virtuellement. Une analyse de la biopsie à des fins de diagnostic sera beaucoup plus efficace et reproductible si l’on numérise une lame de microscope dès le départ. On peut partager les données, créer des banques virtuelles d’images, faire des comptages tumoraux automatiques, ou diffuser des connaissances ou des formations à distance par le biais des moocs (massive open online courses). Si les radiologues ne vont pas disparaître, ceux qui n’apprendront pas l’IA vont disparaître.

Emmanuel BACRY

Il faut souligner que l’intelligence artificielle n’est pas encore très intelligente et que ce n’est pas parce que l’on a plus de données que l’on comprend mieux. À ce jour, un algorithme pourra vous dire si une radio est normale ou pas, sur la base d’un scoring, mais ne saura répondre à la question : « Pourquoi dis-tu que cette radio est anormale ? » Il y a là un vrai enjeu de recherche.

Nicolas VILLAIN

C’est une très bonne remarque : il faut savoir les cas où une vision statistique suffit de ceux où il faut comprendre.

Olivier LAUREAU

Quel axe prioritaire recommandez-vous au G5 dans le domaine du numérique ?

Jean-Marc AUBERT

En 1980, Alvin Toffler imaginait déjà, dans son livre « La troisième vague », les conséquences civilisationnelles de l’informatique, à commencer par le développement d’un individualisme puissant et la disparition des groupes. Il avait raison pour ce qui est de la santé, car nous allons vers une prise en charge toujours plus individualisée. Certains médecins disparaîtront, comme déjà beaucoup de traducteurs (ceux qui subsistent, parfois très confortablement, s’appuient sur l’informatique pour l’essentiel de leur travail, en se bornant à de la relecture et du contrôle).

Si votre horizon d’investissement est le long terme, plus votre système d’information se rapprochera de l’individu, plus il aura plus de chance de performer. Votre challenge sera de faire comprendre aux organismes payeurs que les solutions thérapeutiques les plus efficaces ne sont aujourd’hui pas prises en charge directement. Aux États-Unis, le marché des solutions numériques d’aide aux établissements de santé pour gérer les hospitalisations et l’accompagnement des patients avant et après, qui permettent notamment de minimiser le temps d’intervention médical, est beaucoup plus dynamique que le marché des solutions thérapeutiques remboursées pour elles-mêmes. En Europe, il est plus simple de développer des applications tournées vers le patient, même si elles ne sont pas remboursées par le système de santé.

Le numérique paraît être un sujet totalement international, mais il se heurte sur le plan national à un problème de compréhension de l’environnement dans lequel on se trouve. C’est la raison d’être du Health Data Hub. Il permettra que les acteurs français puissent s’appuyer sur la richesse des données françaises, mais aussi que les patients français disposent d’algorithmes testés à partir de données françaises. Par exemple, un système comme Watson pâtit d’être alimenté par des données de patients américains, dont la prise en charge thérapeutique diffère sensiblement de celle des Français.

Emmanuel BACRY

À court terme, je conseille aux entreprises du G5 de repenser toute leur infrastructure de traitement des données, en parvenant à les rassembler au même endroit et sous une gouvernance unique. Des grosses entreprises n’ont jamais réussi à mettre en place un data lab digne de ce nom. En outre, la seule phase de nettoyage des données qui n’ont jamais été utilisées prend au moins un an. Par ailleurs, je plaide pour une mutualisation des données des entreprises au sein de l’écosystème de santé, en dépassant les problèmes de valorisation.

Pierre LEURENT

Du point de vue d’une société innovante comme la nôtre, tous les dispositifs d’appui au développement comme le Crédit Impôt Recherche, l’accès aux financements ou l’aide à l’exportation sont précieux et doivent être intensifiés. D’autre part, les alliances entre les PME et les grands groupes sont très importantes, car elles apportent des complémentarités d’expertise et de ressources. Cela a été le cas pour nous avec Roche, Sanofi et Astrazeneca. De très belles idées germent en France, mais leurs concepteurs ont besoin des grands groupes pour en faire des idées qui génèrent de la valeur au plan mondial, car le marché français est trop étroit pour permettre des effets d’échelle. C’est un enjeu organisationnel auquel certaines entreprises ont répondu en créant des entités spécialisées.

Le contexte politique étant très favorable au numérique en santé, avec un président de la République très sensibilisé à la question, pour avoir beaucoup baigné dans le monde médical. On peut arriver à faire bouger les lignes, comme l’illustrent les expérimentations de télémédecine, qui sont aussi le fruit de nos espaces de dialogue communs. Au-delà des discours, nous avons besoin d’une gouvernance publique, avec des leaders qui puissent incarner les transformations induites par le virage numérique dans le système de santé au plus haut niveau de l’administration. Il faut aussi clarifier la zone d’intervention des pouvoirs publics et celle du privé. À cet égard, le rapport Ma santé 2022 donne une vision stratégique éclairante. Tout dépendra de la mise en œuvre et des réalisations concrètes qui en découleront.

Nicolas VILLAIN

Si nous sommes très présents dans les hôpitaux au travers de nos appareils de monitoring, les données que nous utilisons ne nous appartiennent pas. Les institutions de soins gardant leurs données comme une mine d’or, cela freine les applications cliniques du numérique, même si des assouplissements ont été obtenus pour l’agrégation des données génomiques dans le cadre de Medicen. Il faut développer des approches de plateforme, avec une mise en commun des outils d’accès, avec un partage de la valeur équilibré. Si nous ne le faisons pas, Apple et Google s’en chargeront, et c’est d’ailleurs déjà le cas. Pour l’heure, la centralisation des données médicales d’un patient n’existe pas.

Pierre LEURENT

Face à cette boîte noire qu’est l’IA, les régulateurs sont souvent un peu démunis lorsqu’il s’agit de donner une autorisation de mise sur le marché sur des algorithmes dont ils ne savent pas comment ils fonctionnent. De plus, les nouveaux produits de santé issus du numérique ont un cycle de vie très court, puisqu’ils peuvent changer de version pratiquement tous les mois alors que la durée moyenne d’une évaluation est de cinq ans…. Il n’est pas sûr que la doctrine de l’évaluation randomisée multicentrique soit pertinente, alors que ces produits ont des impacts à tous les niveaux sur les organisations de santé. C’est pourquoi la FDA a consenti un fast track de diffusion des innovations à fort contenu digital. Une réflexion sur cet enjeu doit être ouverte en France, en concertation avec les parties prenantes.

Olivier LAUREAU

Quel est le facteur clé du succès dans la création de valeur par l’innovation du point de vue de l’économie globale de l’innovation en santé ?

Jean-Marc AUBERT

Il faut déterminer une stratégie complète de moyen terme, car le numérique transformera d’autant plus vite le système que chaque acteur aura un intérêt à l’utiliser, car on ne remboursera pas des produits numériques en plus du reste, mais à l’occasion de la mise en œuvre des thérapeutiques actuelles. Il faut transformer le système pour qu’il soit incitatif, alors qu’il est aujourd’hui désincitatif, parce que réglementation n’évolue pas assez vite.

Emmanuel BACRY

À mon sens, les entreprises doivent savoir être attractives pour faire du recrutement, alors que Google est arrivé en santé à Paris. Nos étudiants partent soit dans les start-up soit dans les GAFA où ils vont pouvoir continuer à développer des algorithmes complexes, pour un salaire parfois quinze fois supérieur… Les partenariats entre entreprises et filières académiques sont un bon moyen d’éviter la fuite des cerveaux.

Pierre LEURENT

Je mettrai l’accent d’une part sur la communication grand public et la labélisation, afin de l’orienter sur les solutions numériques et des objets connectés ayant une vraie valeur médicale (on trouve sur le marché 315 000 applications mobiles dont certaines sont nocives pour la santé), et d’autre part sur l’accompagnement des professionnels de santé dans leurs nouveaux rôles (infirmier en télémédecine par exemple), car les nouvelles solutions ne fonctionnent pas si on les plaque sur les schémas organisationnels existants.

Nicolas VILLAIN

Il faut avant tout répondre à un vrai besoin, ce qui n’est pas toujours le cas avec l’IA. En outre les entreprises doivent préciser leur cœur de métier et les données à collecter et à nettoyer qui s’y rapportent.

De la salle

France Stratégie a rendu un rapport sur les rapports entre l’IA et le travail, en soulignant la nécessité de lui donner du sens métier, car il ne suffit pas d’embaucher des data scientists pour obtenir de l’intelligence augmentée, puisqu’il ne faut pas seulement identifier des corrélations statistiques, mais mettre à jour des liens de cause à effet.

Jean-Marc AUBERT

Les start-up qui réussiront combineront des compétences numériques et des connaissances métiers, en associant des data scientists, des informaticiens (qui manquent le plus), des médecins, des professionnels de santé et des professionnels du marketing. C’est la condition pour créer des interfaces homme-machine performantes.

Emmanuel BACRY

La jeune génération des data scientists a l’impression de n’avoir pas besoin d’experts métiers, alors que les papes du deep learning réfléchissent depuis 20 ans sur ce qu’est un son, une image, le langage pour concevoir des réseaux de neurones pertinents. C’est un grave biais que les formations doivent corriger.

De la salle,

Comment concilier l’utilisation des données de génomique avec le RGPD ? Que faut-il au développeur d’IA pour les intégrer ? Quand parviendra-t-on à les utiliser pour faire de la médecine prédictive et ne pas décevoir le public qui en attend beaucoup ?

Pierre LEURENT

Les entreprises doivent se conformer au RGPD, même si l’on ne peut que signaler que la multiplication des réglementations au niveau national et européen ne s’accompagne pas d’une multiplication des opportunités de business, alors que c’est l’inverse aux États-Unis où l’accès précoce au marché est favorisé.

Nicolas VILLAIN

Il existe en génomique des méthodes qui permettent de mélanger les données d’un pool de patients pour préserver leur anonymat. Il faut être sûr que les patients sont conscients de l’utilisation qui est faite de leurs données.

Emmanuel BACRY

Le RGPD rend possible l’autorisation par le patient de l’utilisation de ses données non-anonymisées, pourvu qu’on lui indique dans quel but, que l’on n’utilise que les données strictement nécessaires et que l’entreprise assure leur stockage sécurisé. À mon avis le citoyen, qui balance entre défiance et espoirs excessifs, n’est aujourd’hui pas du tout éduqué à ce que signifie le fait de donner ses données de santé.

De la salle, Jean-Luc BELINGARD

À l’époque de la chimie combinatoire et du high throughput screening, nous concevions des millions de molécules en dehors de toute considération médicale et clinique, et force est de constater rétrospectivement que l’utilisation de ces deux technologies n’a pas débouché sur une seule molécule exploitable par l’industrie. Cet échec s’explique, car les médecins étaient mis au rang de simples utilisateurs. C’est pourquoi il est fondamental que la clinique soit le premier acteur de la création des softwares d’analyse de données.

Emmanuel BACRY

Il faut reconnaître à l’inverse que l’expert métier doit accepter de se faire bousculer par le data scientist. Par ailleurs, la simplification des interfaces des outils de machine learning risque de donner l’illusion au professionnel de santé qu’il peut tout faire dans son coin.

De la salle,

À mon sens on surévalue l’impact du RGPD en France, car l’utilisation des données était déjà régie par la loi Informatique et Liberté de 1978 et une directive européenne de 1984. Quelle place occupent dans la problématique du numérique les professionnels de santé non médicaux, dont les pharmaciens ?

Jean-Marc AUBERT

Nous avons parlé des médecins, mais il aurait été plus juste de parler des professionnels de santé, car les outils numériques devront être utilisés par tous les membres des équipes de soins, y compris en médecine de ville. Ces équipes devront intégrer des statisticiens comprenant les limites des algorithmes et des psychologues comportementaux capables d’inciter les patients à être peu plus observants.

Olivier LAUREAU

En effet, les professionnels de santé sont à prendre au sens large en incluant également les pharmaciens. Merci de cet échange qui nous permet aujourd’hui de mieux comprendre en quoi cette révolution va entraîner une transformation profonde de nos organisations bien au-delà de nos seules entreprises. Un travail de pédagogie par l’ensemble des acteurs concernés à destination du grand public va être nécessaire sur ces sujets complexes et porteurs d’avenir. Une labellisation de ces nouveaux outils s’impose désormais pour éclairer le consommateur appelé à utiliser ces nouvelles solutions numériques. Nous devons disposer d’experts pour traiter ces sujets, ce qui suppose formation et attractivité. Nos entreprises doivent aussi redoubler de vigilance sur la gouvernance des données dont la robustesse, la fiabilité et la pertinence s’imposent avant de les exploiter à travers des algorithmes. Retenons que nous avons aussi besoin de mutualiser ces données pour en tirer plus d’enseignements. La révolution numérique de la santé soulève en cela une question de souveraineté nationale. Cette dimension nouvelle de notre santé dans le cadre d’une approche internationale est une formidable opportunité pour tous les professionnels de santé et pour les patients qui seront ainsi mieux soignés.


Innovation et parcours de soins : quelles opportunités pour l’écosystème de la santé ?

Participent à cette table ronde :

  • Gilles Bonnefond, Président de l’Union des Syndicats de Pharmaciens d’Officine
  • Corinne Dechelette, Directrice Prospective Corporate Dermatologie de Pierre Fabre Dermo-Cosmétique
  • Stéphanie Decoopman, Cheffe de Service, Adjointe à la Directrice Générale de l’Offre de Soins
  • Hervé Pelloux, Chef de Pôle de Biologie et de Pathologie, Chef de Service du Laboratoire de Parasitologie-Mycologie, CHU Grenoble Alpes, Institut de Biologie et de Pathologie
  • Jean-François Timsit, Chef de Service de Médecine Intensive Réanimation des Maladies Infectieuses, Hôpital Bichat-Claude-Bernard, AP-HP

La table ronde est animée par Alexandre Mérieux, Président Directeur Général de bioMérieux et Eric Ducournau, Directeur Général du groupe Pierre Fabre

Éric DUCOURNAU

Dans le cadre de Ma Santé 2022, le rôle de la DGOS est de reconstruire l’offre de soins. Comment approchez-vous l’impact des innovations sur les parcours de soins ?

Stéphanie DECOOPMAN

Il s’agit de réformer le système de santé à tous les niveaux, depuis les études de médecine jusqu’à l’organisation des professionnels à la ville et à l’hôpital, en passant par le suivi et le financement de l’innovation. La Ministre annoncera mi-novembre la méthode de travail qui reposera sur l’ouverture de 10 chantiers, dont 3 chantiers territoriaux axés sur le décloisonnement des parcours de soins. Les innovations d’organisation, les innovations technologiques et la circulation de l’information sont autant de leviers indispensables à l’évolution souhaitée.

Un chantier numérique sera lancé autour d’une mission e-santé organisée par le Ministère, pour porter les nouveaux dispositifs. Outre les chantiers consacrés à la qualité et à la transparence, celui qui portera sur la réforme des études de santé visera à construire un corpus de connaissances communes entre les professionnels de santé et les data scientists et les développeurs de l’IA.

Nous allons créer un espace numérique de santé pour chaque assuré. Le DMP (dossier médical partagé) en sera, dès novembre, le premier composant. Cela s’accompagnera d’un effort d’explication sur l’utilisation des données personnelles. La DGOS va par ailleurs développer dans les mois à venir le programme e-parcours d’accompagnement numérique autour des parcours de soins, avec des données et des agendas partagés entre la ville et l’hôpital ; il sera articulé avec l’espace numérique de santé.

Nous poursuivons en outre le programme Open relatif au territoire numérique qui doit permettre aux hôpitaux d’acquérir une maturité numérique au quotidien, avec notamment le rendez-vous et la pré-admission réalisables en ligne. L’outil numérique doit aider à limiter les ruptures dans les parcours de soins afin que les gouvernances des deux mondes que sont la ville et l’hôpital se croisent.

Alexandre MERIEUX

La nouvelle médecine sera celle des 4 P, car elle sera Préventive, Personnalisée, Participative et Prédictive. Pouvez-vous nous parler tout d’abord des innovations portant sur le diagnostic en biologie médicale ?

Hervé PELLOUX

Le CHU de Grenoble a connu des réorganisations majeures, en partie grâce au numérique, puisque nous avons constitué des plateformes partagées de diagnostic, en étant bien conscient que toute l’expertise ne pourrait pas entrer dans un algorithme. Nous avons aussi multiplié les liens avec les industriels du diagnostic in vitro et de l’informatique, qui ont été associés à toutes nos réorganisations, en concertation constante avec les médecins. Quant aux réorganisations opérées dans le cadre des GHT (groupements hospitaliers de territoire), elles posent une question de gradation des soins et du parcours santé, car il ne peut pas être demandé à un établissement de 40 lits, avec 80 % de SSR et 20 % d’EHPAD les mêmes prestations qu’à un CHU. Le fait que le GHT ait tendance à aligner tous les établissements sur des fonctions support, en multipliant les tâches souvent très éloignées de la pratique médicale, augmente la sensation de surcharge de travail des praticiens.

Le succès des collaborations avec les industriels passe d’abord par l’humain, car chacun doit comprendre le rôle de l’autre et surtout pour s’assurer que les idées sont bonnes. J’ai ainsi lancé une coopération qui a débouché sur une commercialisation mondiale dans le domaine de la sérologie infectieuse des femmes enceintes atteintes de toxoplasmose à partir d’un simple coup de fil avec le directeur R&D d’un industriel.

Alexandre MERIEUX

Ma position m’interdit de citer cet industriel…

Hervé PELLOUX

En matière d’innovation diagnostic il ne faut pas fantasmer, comme on l’a fait lors de l’apparition de la PCR (Réaction de Polymérisation en Chaîne) qui devait résoudre tous les problèmes.

Jean-François TIMSIT

Au quotidien, nous avons accès à beaucoup trop d’informations, car nous n’avons pas les moyens de les trier et de les intégrer. De plus, l’information n’est pas toujours disponible en instantané, car le médecin n’est pas toujours devant son ordinateur. L’ambition d’une approche individualisée conduit à ce que les médecins soient rivés à leur ordinateur et monopolisés par des tâches administratives plutôt qu’en face de leurs patients.

Les industriels et les biologistes peinent à comprendre que dans le domaine des techniques biologiques, un examen négatif est aussi important qu’un examen positif.

En ce qui concerne les études de médecine, il faut repenser la façon dont on utilise son expérience et son expertise en matière de diagnostic moléculaire et bactériologique, lors qu’on utilise le matériel informatique pour prendre une décision ou développer un test. C’est d’autant plus nécessaire que l’on dispose de peu de temps pour prendre une décision en médecine de soins critiques, alors que l’on est souvent seul de garde.

Si l’on considère le parcours de soins dans sa globalité, l’information qui nous provient de l’extérieur constitue un apport fondamental, mais elle pose un problème d’accès aux données, de sécurité et d’exploitation. D’où l’importance de concevoir des tests en concertation avec leurs futurs utilisateurs, et de prendre en compte le fait que le patient lui-même, premier destinataire de l’information, aura un rôle dans le processus décisionnel de prise en charge.

Hervé PELLOUX

S’agissant du « médecin rivé à son ordinateur », il faut savoir que nous savons utiliser, pour des résultats vraiment délicats, notre bon vieux téléphone pour solliciter un conseil auprès d’un confrère. Et je m’autorise à signaler une limite du numérique : pour l’utiliser, encore faut-il que le réseau du CHU fonctionne !

Stéphanie DECOOPMAN

Avant de travailler à la DGOS, j’étais Directrice générale de l’hôpital Georges Pompidou. La réforme des GHT étant encore récente, les acteurs se repositionnent progressivement, notamment dans le cadre des projets médicaux de territoire que prévoit Ma Santé 2022. C’est une révolution culturelle qui doit être menée en commun par des hôpitaux qui parfois ne se parlaient pas du tout.

Parmi les chantiers de Ma Santé 2022 l’un d’eux a pour thématique « GHT et gradation des soins » qui met l’accent sur les autorisations de soins, afin que chaque établissement apporte sa valeur ajoutée et que le bon patient soit traité au bon endroit.

S’agissant du système d’information, il faut prendre en compte le fait que les patients ont changé : grâce à internet, ils savent souvent tout de leur maladie en arrivant devant leur médecin et peuvent aussi réaliser de multiples formalités par le biais d’applications, dont celle de leur admission. Par ailleurs, un SI comme celui de Bichat se déploie selon un modèle conçu il y a dix ans qui repose encore sur le dossier papier, sans prendre en compte la portabilité des données ni le fait qu’un médecin doit pouvoir disposer des données vitales de ses patients sur son smartphone. Certains hôpitaux ont compris cette révolution de l’interopérabilité. Pour le reste, chacun sait que l’informatique fait gagner du temps, sauf quand cela ne fonctionne pas.

Eric DUCOURNAU

Les pharmaciens sont à l’origine du DMP et ils aussi pris des initiatives dans le cadre du suivi des maladies chroniques et de la vaccination. Comment évolue leur place dans le parcours de soin ?

Gilles BONNEFOND

Nous avons fait le choix en juillet 2017 de changer notre modèle économique, sachant qu’il nous est toujours difficile d’équilibrer notre double qualité de professionnel de santé et de commerçant. Nous avons fait le choix du patient, en optant pour un mode de rémunération qui réduit la marge commerciale sur les produits et valorise des actes de dispensation et de validation de l’ordonnance. Notre rôle est notamment renforcé sur :

  • la prévention des risques iatrogènes ;
  • l’accompagnement des patients qui n’adhèrent pas à leur traitement ;
  • les personnes âgées prenant plus de 5 médicaments ;
  • le dépistage ;
  • la prévention.

Des avenants seront bientôt signés sur l’accompagnement de la chimiothérapie orale et sur la télémédecine en pharmacie. Nous accomplirons évidemment ces missions en coopération avec le médecin traitant. J’ajoute que, contrairement à une idée reçue, le pharmacien va souvent au domicile des patients.

Nous participons à la stratégie de territoire des CPTS (communautés professionnelles territoriales de santé) par le fait que nous accueillons les patients le samedi et les jours de garde, et nous sommes complètement intégrés dans les équipes de soins primaires. Grâce au DMP, le pharmacien aura toute l’information sur les patients, y compris le diagnostic du médecin et le compte-rendu opératoire. C’est l’aboutissement de 15 ans de combat.

Concrètement nous allons élaborer des protocoles de soins pour les personnes âgées et les patients chroniques afin de simplifier le travail du médecin, notamment au stade du renouvellement des ordonnances. En matière d’hospitalisation, les pharmaciens seront informés en amont de la sortie des patients, afin de disposer des produits immédiatement. Enfin, les nouveaux protocoles permettront d’éviter que les patients aillent voir leur médecin pour un rhume ou se rendent aux urgences pour une gastrite. Je me félicite que des médecins parlementaires prennent des initiatives qui favorisent ces évolutions du parcours de soins.

Eric DUCOURNAU

Est-il envisageable de fusionner le dossier pharmaceutique (DP) et le DMP ?

Stéphanie DECOOPMAN

Avec la CNAM nous préconisons plutôt leur interopérabilité.

Gilles BONNEFOND

Il est sage de ne pas supprimer un DP qui marche au profit d’un DMP qui a eu une vie un peu chaotique et est encore en construction. Le premier peut contenir non seulement des médicaments prescrits, mais ceux qui sont recommandés par le pharmacien et qui ne sont pas toujours pris en charge par l’Assurance maladie. Quant au DMP, il va être enrichi des médicaments délivrés par l’hôpital. À mon sens, les deux outils sont complémentaires.

Eric DUCOURNAU

Comment la dermatologie profite-t-elle des innovations digitales pour resserrer le lien entre le médecin et son patient ?

Corinne DECHELETTE

Les professionnels de santé étant confrontés à des innovations médicales de plus en plus fréquentes, l’industrie pharmaceutique les accompagne dans l’évolution de leur métier, à l’image de Pierre Fabre Dermo-Cosmétique. Dans les années 90 avec l’arrivée d’internet, notre PDG fondateur Pierre Fabre a voulu mettre à profit cette innovation technologique au service des professionnels de santé et a créé le premier site internet professionnel de santé Dermaweb pour les dermatologues, puis Pharmaweb pour les pharmaciens, afin de proposer de l’information et de la formation dermatologique. Puis avec l’arrivée du dermatoscope, nous avons proposé le service gratuit YouDermoscopy, afin de former les dermatologues à lire les images de dermoscopie. En troisième lieu, partant du constat que la dermatologie, qui est une médecine visuelle, allait bénéficier de la télémédecine, nous avons mis en place un système agile de télé-expertise dermatologique entre deux dermatologues, dont un expert, et cela en sécurisant le transfert de données de santé. Cette application mobile confraternelle s’appelle Skin Diag.

Dans le domaine des thérapies ciblées, nous avons créé avec des centres experts, Skin Drug, une base de données de toxidermie permettant à un médecin et un pharmacien clinicien de pouvoir attribuer un rash cutané aux effets secondaires d’un médicament. Tous les internes d’Henri Mondor ont dans la poche cette application qui répond à un vrai besoin médical.

En matière d’IA, nous avons rénové Dermaweb en y ajoutant un moteur de recherche doté d’une intelligence artificielle sémantique, qui permet une remontée d’information en langage naturel utilisable par l’équipe officinale.

Nous avons beaucoup parlé d’évolutions technologiques des métiers des professionnels de santé, mais nous devons également prendre en compte la mutation sociologique du patient désormais surinformé et actif dans son parcours de soin. La relation médecin-patient a été modifiée.

Aussi, nous proposons sur Dermaweb des vidéos de coaching réalisées par des psychologues destination pour leur réapprendre à parler avec des patients surinformés.

Ainsi le rôle de l’entreprise pharmaceutique est crucial pour participer à la mutation technologique de nos métiers et améliorer le parcours de soins du patient. Ma conviction est d’ailleurs que l’écosystème numérique va finalement libérer du temps qui pourra être consacré à cette relation humaine qui fait aussi partie de la thérapie.

Eric DUCOURNAU

Jean-François TIMSIT, pouvez-vous nous donner un exemple d’application des nouvelles technologies dans votre service ?

Jean-François TIMSIT

Le sepsis, une infection bactérienne sévère qui touche 20 à 25 % des patients en réanimation, prend des formes très hétérogènes, au point que de nombreux laboratoires ont échoué à le diagnostiquer avec un produit unique entre 1985 et 2000. On est encore incapable de démontrer qu’une administration précoce d’antibiotiques améliore le pronostic de survie des malades, puisque l’on ne parvient pas à établir ce diagnostic au temps zéro de l’infection et parce que la réactivité de chaque hôte est différente. Désormais on préconise une approche individualisée du malade à un temps T et les nouvelles technologies vont nous permettre de faire évoluer nos traitements en temps réel. Plus généralement la biologie moléculaire va nous permettre d’optimiser l’usage des antibiotiques, dont l’amoxicilline à laquelle j’ai consacré 20 ans de ma carrière.

Eric DUCOURNAU

Quels nouveaux enseignements appelez-vous de vos vœux à la Faculté ?

Jean-François TIMSIT

Par le biais de l’ordinateur, et grâce à un enseignement centré davantage sur les comportements que sur les savoirs, on devrait pouvoir enseigner des stratégies médicales fondées sur des exemples pratiques. Une fois la théorie apprise, il faut passer à de l’enseignement interactif, éventuellement par le biais de moocs pour une approche comportementale centrée sur la décision thérapeutique.

Hervé PELLOUX

Dans le domaine du diagnostic, je suis un peu inquiet quant à la capacité d’adaptation de nos structures vu la rapidité des évolutions. Au CHU de Grenoble, j’expérimente par exemple le temps moyen d’une décision d’achat de matériel. Un délai si long, ne serait-ce que pour changer de réactif, que je préfère le taire. J’ai récemment passé plusieurs heures de mon temps de médecin à me battre pour faire accepter une facture de 50 euros par le département des Affaires financières. J’estime aujourd’hui que ces contraintes financières et réglementaires qui s’accumulent, avec des injonctions contradictoires, sont les principaux obstacles à la mise en œuvre des innovations.

Gilles BONNEFOND

La messagerie sécurisée interopérable doit être mise en place, pour permettre une communication en temps réel entre l’équipe de soins de ville et le patient.

D’autre part, le changement vers des pratiques collaboratives doit être porté par des mécanismes de rémunérations incitatifs. Le paiement à l’acte n’est manifestement pas adapté à cette approche, car il crée des tensions inutiles.

Stéphanie DECOOPMAN

Nous attendons beaucoup des contributions des conférences des présidents de CME et de CHU à l’occasion des assises universitaires HU mi-décembre, sur l’optimisation de la décision médicale.

Notre modèle de financement doit effectivement passer d’un centrage de l’équilibre de chaque acteur pris isolément, alors qu’il s’agit désormais de prendre en compte la Santé dans l’équilibre sur un territoire. Le Ministère réfléchit dans ce sens, en veillant à concilier la prise en compte de l’activité et une prime à la coordination et à la collaboration. Il s’agit de passer à un système qui valorise la coopération.

De la salle, Jean-Frédéric CHIBRET

Jean-François Timsit, disposez-vous de suffisamment de données de santé pour redéfinir votre protocole thérapeutique ?

Jean-François TIMSIT

Ayant accès au DES de l’AP-HP et aux systèmes d’information hospitaliers, je dispose de bases de données structurées d’origines très variées, mais cette masse est telle que la réponse à des questions médicales précises, sur la base de données individuelles, nécessite plusieurs années-homme de travail, à commencer par la réduction des données en constituant des groupes homogènes. C’est ce à quoi je m’attache dans le cas du sepsis. Grâce aux connaissances accumulées en matière d’histopathologie, les outils prédictifs sont les plus avancés dans le domaine de la cancérologie. Dans le domaine des soins critiques, on va devoir se contenter d’outils automatisés d’aide à la prise de décision rapide.

De la salle

Pouvez-vous préciser ce que recouvre l’e-parcours ?

Stéphanie DECOOPMAN

Il s’agit de mettre à disposition des professionnels de santé, des structures d’exercice coordonné, des CPTS et des hôpitaux, un référencement d’outils dont on aura garanti la sécurité et l’interopérabilité. C’est une démarche de capitalisation d’expériences.

Alexandre MERIEUX

Je retiens de nos débats qu’il va falloir apprendre à réapprendre, car le processus d’innovation est un processus continu.


Conclusion

Yves L’Epine
Président du G5 Santé, Directeur Général de Guerbet

Au nom des présidents du G5 Santé je remercie tous les intervenants, les très nombreux participants et les membres du comité technique du G5 santé, qui ont contribué à faire de ces 7e Rencontres un grand succès.